Les admirateurs du peintre

Dumas par Nadar en 1855
À propos du Salon de 1859, par Alexandre Dumas, dans L’Art et les artistes contemporains, Bourdilliat et Cie éditeur : « M. Blaise Desgoffe a une exposition merveilleuse, surprenante, miraculeuse. Ses tableaux, vous le rappelez-vous ? sont ceux qui représentent des vases de pierre ; c’est d’une telle exécution, d’un tel métier, d’un tel fini, d’une telle patience, que si Gérard Dow revenait au monde, il s’avouerait vaincu devant un tapis turc de M. Desgoffe, où l’on voit la trame, l’irrégularité du tissu et jusqu’aux atomes de poussière qu’il renferme. M. Desgoffe est non pas l’artiste peintre, mais l’ouvrier peintre le plus habile que nous ayons jamais rencontré. Ordinairement, les artistes qui vouent leur existence à cette reproduction inintelligente d’objets inanimés font une peinture commune ; tout au contraire, empressons-nous de dire que les tableaux de M. Desgoffe sont d’une coloration distinguée, pleine de goût, d’un dessin presque savant. Réellement, autant vaut posséder un de ces tableaux exposés au Salon qu’un de ces vases enfermés dans leurs armoires de verre du vieux Louvre : un Desgoffe qu’un Benvenuto Cellini. Mettez en prison un homme ayant certaines aptitudes, glissez-lui un pinceau entre les doigts, passez son pouce dans une palette, placez-le dans un bon jour et dites-lui : vous ne sortirez d’ici qu’après avoir fait un tableau comme M. Desgoffe, et au bout de dix, de vingt, de trente ans, il est probable qu’il aura réussi et gagné sa liberté. Mais mettez ce même homme en prison et ne le laissez sortir que s’il vous a fait un Delacroix, le pauvre diable est prisonnier à perpétuité. »

À propos du Salon de 1861, dans La Gazette des Beaux-Arts (1861, tome 11, p. 152) : « À quel travail d’interprétation peut se livrer M. Blaise Desgoffe en présence d’un objet en jaspe, en sardoine ou en agate ? A-t-il en lui-même une idée, un type de beauté qui lui permette d’ajouter à la représentation de l’objet une valeur subjective ? Son seul but sera de reproduire par une imitation exacte la forme et le ton de choses inanimées que l’œil suffit à comprendre ; son mérite, d’employer à ce travail de patience, dans une mesure judicieuse, les ressources de la langue de l’art, un dessin correct, une couleur juste. Tout au plus l’arrangement des divers objets permet-il à son goût personnel d’intervenir au même titre que le goût de la femme dans l’assortiment des diverses pièces de sa toilette. Si, en un genre aussi étroitement limité, M. Blaise Desgoffe produit des chefs-d’œuvre, c’est qu’il porte au plus haut degré le déploiement de ces qualités secondaires, le goût, la correction, la justesse, la patience, l’imitation, et qu’il les soutient par une exécution constamment ferme et pure. C’est aussi ce qui permet d’appliquer à des tableaux tels que l’Aiguière ou la Coupe le mot de chefs-d’œuvre, dont il faut être si ménager quand il s’agit de véritables œuvres d’art. »

À propos du Salon de 1863, dans Les Salons de W. Bürger, 1861-1868 (Renouard éditeur), pp. 409 et suivantes : « Chez M. Blaise Desgoffe, élève de M. Flandrin, et sans doute frère [sic] de M. Alexandre Desgoffe le paysagiste, toute impression humaine disparaît ; les objets ne sont pas peints tels que chacun les voit selon son tempérament, mais tels qu’ils sont en réalité, abstraction faite de l’esprit humain et de l’œil humain, ce qui semblerait impossible. Je ne sais comment expliquer ce résultat merveilleux. Est-ce œuvre d’art ? Ma foi, non. Dans l’art, il y a toujours quelque chose de l’homme, ne fût-ce que sa manière de voir matériellement les objets, laquelle est différente chez tous les individus, et infiniment variée. Est-ce un travail industriel ? Un mouleur met du plâtre sur une statue de marbre, maçonne son moule, le laisse sécher, puis l’ouvre et en retire le fac-similé de la statue. Un photographe met dans sa chambre noire une plaque préparée et retire l’image qui s’est imprimée sur le verre. Qu’est-ce que cela ? Il semble que les résultats de M. Desgoffe soient obtenus par quelque action physique où lui-même ne soit qu’un agent inerte, un intermédiaire mécanique ; qu’il prenne du bout de sa brosse l’objet réel et qu’il le pose là sur sa toile, sans y avoir rien fait que de le transposer. Donc, il a transposé, sur deux tableaux, des objets tirés des collections du Louvre : sur un des tableaux, un vase de cristal de roche, du xviᵉ siècle, une escarcelle de Henri II, des émaux de Limoges ; sur l’autre tableau, un Buste en ivoire du xviᵉ siècle, une agate onyx, des bijoux et un pan d’étoffe de soie. Les conservateurs du musée feront bien de voir si ces objets sont toujours dans leurs armoires du Louvre, car les voici au Salon. Jamais la peinture n’a rien produit d’aussi réel, jamais dans aucune école et dans aucun genre, même les raisins du peintre grec, qui trompèrent les oiseaux, mais qui sans doute ne faisaient point illusion aux hommes. Le tableau du vase de cristal est assez grand ; le tableau du Buste en ivoire est plus petit, et encore plus prodigieux que l’autre ; il appartient à M. Boittelle. M. de Morny a aussi des peintures de M. Desgoffe, dont les œuvres ne peuvent manquer d’être très recherchées. »

À propos du Salon de 1864, dans L’Art et les artistes modernes en France et en Angleterre, par Ernest Chesneau, Didier et Cie Éd., pp. 264 et suiv. : « S’il est vrai, comme le disait récemment M. le surintendant des Beaux-Arts, que l’important en peinture “c’est que dans toutes les directions parcourues le talent soit à la hauteur de la tentative”, on peut affirmer que les ouvrages de M. Desgoffe sont des chefs-d’œuvre et le mot ici n’a rien d’excessif. Il est nécessaire toutefois de faire remarquer qu’il est plus facile pour l’artiste de réaliser pleinement l’objet de son effort, lorsque cet effort s’applique à des phénomènes absolument immobiles, invariables de leur nature, comme des ivoires, des émaux, des cristaux ou des tentures. Mais la relativité du but étant marquée, il ne faut pas craindre de dire que M. Desgoffe est le seul artiste au Salon qui ait atteint rigoureusement le but qu’il se proposait. Cela peut prouver l’infériorité comparative du genre, mais ne prouve rien contre la supériorité du peintre dans ce genre qu’il exploite. Si l’Antiquité nous avait laissé un seul des chefs-d’œuvre de M. Blaise Desgoffe, on n’aurait pas assez d’exclamations et d’admirations pour la supériorité des anciens. Les récits de Pline sur les compositions des peintres de l’Antiquité, les épigrammes de l’anthologie grecque sur l’illusion que causaient à ses contemporains les ouvrages de Myron d’éleuthère, cette imitation fidèle de la nature, acceptée sur parole et dont rien de ce qui est parvenu jusqu’à nous ne justifie l’existence probable, ces merveilles d’illusion peut-être apocryphes, sont chaque jour l’objet de mille louanges à l’aide desquelles on écrase les modernes ; les tableaux de tel peintre hollandais sont vantés au-delà de toute mesure pour la manière dont il a su rendre les accessoires. Mais comme M. Blaise Desgoffe est français, comme il est notre contemporain, comme il dépasse de beaucoup comme vérité d’imitation tout ce qu’ont pu faire les Hollandais, les Flamands ou les anciens, nous trouvons de bon goût de dédaigner ses merveilles d’exécution, ses chefs-d’œuvre, je répète le mot que je n’ai pas écrit une seule fois dans le cours de ce compte rendu de l’exposition de 1863. Oui, sans doute, il est plus facile de faire un chef-d’œuvre de vérité, en copiant un ivoire, qu’en copiant un paysage ou un être animé. Pagnest, l’auteur d’un admirable tableau du Louvre (portrait de M. Nanteuil-Lanorville), et de La Berge, l’auteur de très beaux paysages, Pagnest et de La Berge sont morts à la peine. M. Blaise Desgoffe est un esprit de la même famille. Le Buste en ivoire qui appartient à l’un des amateurs les plus éclairés et le plus sincèrement épris de notre école française, M. S. Boittelle, et le Vase de cristal de roche du xviᵉ siècle sont deux perles précieuses que les musées de l’Europe se disputeront un jour. Les tableaux de M. Desgoffe font et feront de plus en plus l’honneur des galeries où elles figurent. La perfection absolue est chose assez rare pour qu’on ne lui mesure pas l’éloge d’une main avare, et surtout pour qu’on n’affecte pas à son égard des dédains inexplicables autrement que par cette singulière absence de logique particulière à la France, le pays du monde où l’on ose le moins être fier de ses gloires légitimes. Eh bien ! dans le cercle d’activité qu’il embrasse, M. Desgoffe est une des gloires de l’école française contemporaine. Le cercle est restreint, je ne me lasserai pas d’en convenir, mais l’artiste l’a parcouru tout entier avec succès, et je ne me lasserai pas davantage de dire qu’il est le seul qui ait réalisé la perfection. L’ambition des autres artistes est plus haute, elle nous touche davantage, leur échec est souvent plus glorieux que le triomphe de M. Desgoffe ; mais le triomphe n’en est pas moins là, évident, éclatant, incontestable, reconnu de chacun au fond de sa conscience et comme l’on n’ose pas le proclamer, on essaye de le nier. Une dernière fois, rien n’est plus injuste. »

Gautier par Nadar en 1856
À propos du Salon de 1869, par Théophile Gautier, dans L’Illustration. « M. Blaise Desgoffe est toujours le Benvenuto Cellini, le grand orfèvre de la peinture. On devrait mettre ses tableaux derrière des vitrines : ils donnent des envies de vol, tellement l’or, les perles, les pierres précieuses, les émaux, les cristaux de roche y sont admirablement représentés. »

Article du Grand dictionnaire universel du xixᵉ siècle (tome 6) de Pierre Larousse : « Desgoffe (Blaise-Alexandre), peintre français, né à Paris, vers 1825. élève de Flandrin, il s’essaya, au début de sa carrière, dans la grande peinture. Quelques bijoux, des vases qu’il avait placés parmi les accessoires de ses compositions, lui firent comprendre bien vite, par le plaisir qu’il eut à les peindre et par la façon dont il les peignit, que là était sa véritable voie. Il se mit donc à étudier ces bijoux merveilleux, ces coupes ravissantes, que la Renaissance nous a laissés. Les premiers morceaux en ce genre qui mirent en relief le nom de M. Desgoffe furent exposés en 1857. C’étaient Deux coupes d’agate orientale (xviᵉ et xviiᵉ siècles). Tout ce que l’on peut imaginer de patience minutieuse, de prodigieuse habileté dans l’exécution se trouvait là ; le trompe-l’œil y semblait arrivé à sa plus haute expression de réalisme. Les reflets les plus bizarres, les plus inattendus, que la lumière fait miroiter sur les surfaces transparentes et polies, étaient rendus avec un respect naïf, absolu, de la réalité. Séduite complètement par les prodiges de cette photographie intelligente, l’admiration du public se traduisit en enthousiasme véritable. Cependant des artistes, des critiques plus difficiles à satisfaire, cherchèrent l’art dans cette peinture si acclamée. Bientôt les bijoux de M. Desgoffe, pour le monde intelligent, ne furent autre chose que la plus haute expression de l’art industriel. Dans les natures mortes des maîtres flamands, l’art véritable se révèle par des arrangements d’un goût exquis, par les richesses d’une magnifique palette ; les tableaux de M. Desgoffe n’ont rien de tout cela et n’en ont pas besoin ; ils représentent des modèles de bijoux, de vases, etc., modèles magnifiques, mais connus, puisqu’ils sont pris dans la collection du Louvre.
» Il ne nous reste plus qu’à citer les meilleurs morceaux de ce peintre, qui ont paru aux divers Salons de ces dernières années : à celui de 1859, un Vase d’agate sur piédestal d’émail (xviᵉ siècle) ; Aiguière en sardoine onyx (xviᵉ siècle) ; Tapis turc ; à celui de 1864, Fruits et bijoux. Ce dernier morceau est, par exception, un vrai tableau ; il est aussi d’un style meilleur. Le Luxembourg possède de M. Desgoffe deux toiles bien réussies à son point de vue. Cette place, d’ailleurs, n’est pas imméritée : on est digne d’être distingué quand on excelle dans un genre quelconque. Pour cette même raison, nous trouvons justes les récompenses obtenues par le peintre des bijoux, qui obtint une troisième médaille en 1861, et une deuxième en 1863. »

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